Communication des actes d’État civil pour des recherches généalogiques – Enfin l'arrêté royal
2 ans après l’entrée en vigueur de la BAEC, l’arrêté royal est là (enfin !).
Maryse Roucou, archiviste et déléguée à la protection des données – Ville d’Ottignies-Louvain-la-Neuve
Il est tout beau, tout chaud ; et il arrive à temps pour célébrer les 2 ans de la BAEC : l’arrêté royal du 17 mars 2021 relatif aux recherches à des fins généalogiques dans les actes de l’état civil et accordant l’accès à la BAEC aux Archives générales du Royaume et Archives de l’État. Ce texte (très attendu ?) sera applicable à partir du 1er mai 2021.
Petit rappel des épisodes précédents
Le 31 mars 2019, les nouvelles dispositions du Code civil entrent en application. Parmi celles-ci, l’article 29 réduit les délais de communication pour les actes de décès (50 ans) et les actes de mariage (75 ans) et l’article 79 promet un arrêté royal pour encadrer plus spécifiquement les recherches généalogiques dans les registres de l’État civil.
L’arrêté royal se faisant attendre, le SPF Justice donnera des instructions sur la manière de répondre aux sollicitations des généalogistes en août 2019, instructions qui seront ensuite reprises dans l’article 29 de la loi du 31 juillet 2020 portant dispositions urgentes en matière de justice.
Que retenir de cet arrêt royal ?
On pourrait dire sous forme de boutade qu’il n’y a rien à en dire puisque, à peu de choses près, ces « nouvelles » dispositions ne changeront pas la pratique qui est la nôtre depuis 2 ans maintenant (sinon plus). Tout au plus, ce texte nous assure désormais une sécurité juridique pour ce qui y est prévu ou précise l’un ou l’autre élément déjà connu, tout cela en assurant la conformité vis-à-vis du règlement européen sur la protection des données (RGPD).
On notera :
Que sont définis comme actes publics, les actes de plus de 50 ans pour les décès, de plus de 75 ans pour les mariages et de plus de 100 ans pour les autres. À ce sujet, l’avis du Conseil d’État apporte cette nuance : cela signifie que les actes ayant exactement 50, 75 ou 100 ans sont à considérer comme non publics, au même titre donc que les actes se situant en deçà de cette limite (art. 1 § 2 et § 3).
Que les Archives de l’État et les communes se partagent la responsabilité de la délivrance des copies et extraits dans le cadre des recherches généalogiques et ce, pour autant que les Archives de l’État soient en possession des registres en provenance des tribunaux ou que le demandeur s’adresse à la commune qui a rédigé l’acte (art. 2)
Que la consultation des registres papier pour les actes publics est (de nouveau) désormais autorisée. Charge au Collège communal (ou des Bourgmestre et échevin pour nos amis Bruxellois) de définir les modalités de cette consultation. La consultation de la BAEC reste, quant à elle, interdite (art. 4 et art 5§2).
Que les demandes de copies et d’extraits d’actes non publics sont désormais très formalisées. En effet, la demande doit comporter, outre l’identité du demandeur et la mention des actes sur laquelle elle porte, une motivation et une description circonstanciée des fins généalogiques, les moyens de diffusion de la recherche et la confirmation du fait que le demandeur a bien communiqué son identité et ses coordonnées aux personnes concernées par ces actes, RGPD oblige (art. 6 § 2 alinéas 1, 2, 3, 4 et 6). Ces demandes doivent être conservées par la commune pendant 5 ans maximum (art. 6 §5).
Que, dans le cadre des demandes portant sur des actes non publics, le consentement de toutes les personnes concernées est nécessaire. À ce sujet, l’arrêté royal s’aligne en partie sur les modalités de communication des registres de la population :
Si la personne concernée est décédée ou n’est plus « saine d’esprit », son époux ou cohabitant légal survivant peut donner ce consentement ;
Si le conjoint est également décédé ou n’est plus « sain d’esprit », un descendant au 1er degré peut donner ce consentement.
Le texte précise encore que si la personne concernée est mineure, un représentant légal peut donner le consentement. Si le demandeur ne connait pas les coordonnées des personnes concernées, la commune peut jouer les intermédiaires en leur transmettant un courrier de la part du demandeur. (art. 6 § 2 alinéa 5, art. 6 § 3 et art. 6 § 4).
6. Que les extraits et les copies peuvent être délivrés à partir de la BAEC, s’ils y sont disponibles, ou des registres papier ; et qu’ils doivent porter la mention « délivré à des fins généalogiques, historiques ou scientifiques » (art. 3 et art. 6§6).
Au-delà de la question des recherches généalogiques, l’arrêté royal octroie également aux Archives de l’État un accès en lecture dans la BAEC (art. 7).
Enfin, ce que l’arrêté royal ne précise pas, mais qui est largement exposé dans le rapport au Roi et l’avis du Conseil d’État, c’est que, tant les communes que les Archives de l’État, pourront délivrer ces copies et ces extraits « à prix coûtant », comme c’est le cas pour n’importe quel document administratif dont font donc partie les actes d’État civil. Cela signifie en outre que tout refus de communication est susceptible de recours devant la Commission d’accès aux actes administratifs (la CADA).
Les points d’interrogation
Cet arrêté royal est toutefois loin de résoudre l’ensemble de la problématique des recherches dans les actes d’État civil.
Nous ne reviendrons pas sur la mise en pratique relative au consentement des personnes concernées que nous avions déjà relativisée dans un article précédent. Et si chacun appréciera la coordination des dispositions entre les communications des registres d’État civil et celle des registres de la population, on regrettera tout de même l’absence d’instructions sur la manière de traiter les demandes pour lesquelles il n’y aura personne pour délivrer ce fameux consentement. Si ce cas de figure est bien prévu pour les registres de la population, le législateur n’en dit mot en ce qui concerne l’état civil. Quid alors de la communication d’un acte de décès de moins de 50 ans pour une personne n’ayant eu ni conjoint, ni enfant ? Doit-on considérer la communication comme impossible ou, au contraire, considérer que, comme la personne est décédée et qu’il n’existe aucune autre personne en vie pour donner son consentement à la communication, ce dernier n’est pas applicable ?
En ce qui concerne la formalisation de la demande, certains critères ne sont pas clairs. Celle-ci doit comporter une « motivation et une description circonstanciée des fins généalogiques ». Qu’est-ce à dire ? Comment motiver une recherche généalogique autrement qu’en mentionnant qu’il s’agit d’une recherche généalogique ? Et s’il existe une manière d’en faire une description circonstanciée, quelle appréciation peut-on/doit-on en faire ? Où placer le curseur pour motiver un éventuel refus ?
Il en va de même pour les moyens de diffusion de la recherche. Si on peut plus aisément imaginer à quoi cela peut correspondre (usage strictement privé, publication sur un site web dédié à la généalogie, etc.), ni le rapport au Roi, ni l’avis du Conseil, ni l’avis de l’Autorité de protection des données ne nous donnent d’indication sur la manière d’évaluer ce critère.
Enfin, il y a le cas des recherches scientifiques à plus large échelle. La majorité d’entre nous a déjà été confrontée à des demandes d’étudiants, de doctorants, qui, dans le cadre de leurs recherches souhaitent consulter un grand nombre d’actes. Pour autant que ces recherches portent sur des actes au-delà du délai légal, cela ne posera évidemment aucun problème. Mais l’arrêté royal ne dit rien concernant les actes en deçà de ce délai. Pourtant, si on lit attentivement l’avis de l’Autorité de protection des données, rendu en janvier 2020, le projet de l’époque évoquait bien ces cas de figure. Comment dès lors les envisager ? Doit-on exiger de la part des chercheurs qu’ils nous présentent le consentement de toutes les personnes présentes dans tous les actes qu’ils souhaitent consulter ? Personnes qu’ils ne connaissent pas et dont ils n’ont probablement que faire de l’identité au sens strict. Doit-on (peut-on) limiter la recherche scientifique à ce qui est uniquement « librement consultable » ?
Il ne nous reste plus qu’à espérer que, d’ici le 1er mai, une circulaire viendra éclairer toutes ces zones d’ombre.
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