Archivistes

Depuis mi-septembre, le secteur associatif et les centres d’archives privées dits « politiques » font face à la menace d’un retrait de leurs subventions, à la suite de la fuite d’une note de travail du gouvernement. La justification avancée : leurs financements seraient considérés comme des sources de financement indirect des partis.

Sans concertation aucune avec les secteurs visés (Éducation permanente, centres de jeunesse et centres d’archives privées), cette note, présentée comme un simple document de travail, est désormais devenue une ambition concrète du conclave budgétaire de la Fédération Wallonie-Bruxelles.

La presse rapporte notamment : « Nous actons la suppression des reconnaissances des organisations de jeunesse, des associations d’éducation permanente et des centres d’archives qui présentent des liens explicites avec des partis politiques d’ici à fin 2026. »

Au-delà du débat budgétaire, cette mesure soulève une question essentielle : quelle place accorde-t-on aujourd’hui au pluralisme et à la liberté d’association dans notre démocratie ?

Une dérive inquiétante sous couvert de rationalisation budgétaire

Sous prétexte de rationaliser les subsides et d’éviter tout « financement indirect » des partis, cette note du gouvernement cible une série d’associations, dont certains centres d’archives privées. L’idée même de dresser une liste d’associations à « définancer » est inacceptable : elle s’apparente à un mécanisme de tri politique, contraire aux principes du Pacte culturel, de la liberté d’association et du pluralisme garantis par la Constitution.

Dans un climat où certains responsables politiques évoquent déjà la possibilité d’interdire administrativement certaines personnes morales – comme l’illustre l’avant-projet de loi du ministre de l’Intérieur –, cette orientation ouvre la voie à une dérive autoritaire : la tentation de choisir quelles mémoires, quelles voix et quelles histoires méritent d’être préservées.

Les archives, un pilier démocratique

Parmi les secteurs pointés, les centres d’archives privées sont directement concernés. Ces institutions patrimoniales, reconnues et encadrées par décret, seraient désormais considérées comme des relais possibles d’un financement « indirect » des partis.
Une telle assimilation révèle une méconnaissance profonde de leur rôle : préserver la mémoire collective dans toute sa diversité.

Les centres d’archives privées conservent les traces des engagements politiques, syndicaux, sociaux et culturels qui ont façonné notre société. Ils se sont construits autour d’une mouvance idéologique, certes, mais leur objet social dépasse largement le cadre du partis politique.

Ils ne sont pas des outils au service des partis, mais les garants d’une pluralité de voix, de parcours et de récits. Sans eux, notre démocratie perdrait la mémoire de ce qu’elle est, de ce qu’elle a traversé et de ce qu’elle a appris.

La Déclaration universelle des archives le rappelle : l’accès aux archives est un droit fondamental, indissociable du développement des sociétés et du respect des droits humains. Les archives permettent la transparence, nourrissent la recherche, éclairent le débat public. Elles relient les citoyennes et citoyens à leur histoire collective.

Remettre en cause le financement des centres d’archives privées ou leur légitimité, c’est mettre en péril un bien commun inestimable. C’est affaiblir la capacité des générations futures à comprendre les choix du passé, à débattre des orientations du présent et à construire une société plus juste.

Par ailleurs, le flou juridique persistant concernant le statut des archives des mandataires politiques et des cabinets ministériels ne fait que renforcer la nécessité de l’existence des centres d’archives privées. Sans eux, ce sont des pans entiers de notre mémoire démocratique qui disparaîtraient.

Une contradiction avec les engagements récents

En 2023, un nouveau décret sur les archives venait clarifier et renforcer les missions des centres. En 2025, leur revalorisation budgétaire a été défendue au nom de la Déclaration de politique communautaire (DPC).
Comment comprendre qu’aujourd’hui, ces mêmes acteurs soient menacés de voir leurs moyens drastiquement réduits ? Ce revirement n’est pas anodin. Il interroge la cohérence de l’action publique et la volonté réelle de préserver le pluralisme.

Un enjeu qui dépasse les archives

L’inquiétude exprimée par les centres d’archives privées rejoint celle des associations d’éducation permanente, des organisations de jeunesse et de nombreux acteurs culturels.
C’est une même alerte : toute atteinte à la liberté associative est une atteinte à la démocratie.

Le droit d’exister, de documenter, de critiquer ou de transmettre des points de vue divergents fait partie du socle de notre vie collective. Restreindre ces espaces revient à appauvrir la pensée, à uniformiser les récits et à réduire la capacité d’action citoyenne.

Dans le climat politique actuel, il est malheureusement très facile de franchir la ligne qui sépare la vigilance démocratique du contrôle autoritaire. Les débats récents aux États-Unis ou ailleurs nous rappellent à quel point la maîtrise de la mémoire et de la vérité peut devenir un instrument de pouvoir.
Dans ce contexte, et alors que l’on observe partout en Europe et aux États-Unis depuis le début de l’année des tensions croissantes autour des institutions démocratiques et de la société civile, le définancement des archives prend une résonance particulièrement préoccupante.

C’est précisément pour cela que la liberté associative, la diversité des voix et la sauvegarde des archives doivent être défendues sans relâche : elles constituent notre meilleur rempart contre l’effacement, la manipulation et la peur. Nous demandons donc l’abandon immédiat de ce projet éminemment dangereux et appelons à une réaffirmation claire du Pacte culturel : aucun pouvoir ne peut décider quelles voix doivent être réduites au silence.